Numéros spéciaux : une arnaque pour publier vite en payant… et en dévalorisant les savoirs

Cet article de Learned Publishing fin 2024 apporte de bonnes réflexions sur un phénomène qui met en danger la communication des savoirs. Il a pour titre Special issues: The roles of special issues in scholarly communication in a changing publishing landscape, et les auteurs ont une affiliation à Albuquerque, New Mexico, USA. Plusieurs fois, j’ai alerté sur la pratique d’éditeurs mercantiles avec la complicité de chercheurs heureux de publier vite sans trop de remarques de relecteurs et en 4 à 6 semaines (en payant bien sûr).

Des méthodes pas très transparentes

Voici comment procèdent les journaux qui font des numéros spéciaux :

1. Appels à contributions : autrefois un comité de rédaction décidait de faire un ou deux numéros spéciaux exceptionnels chaque année, avec un thème précis, etc..  Dans les nouvelles pratiques, il s’agit de détecter un ‘guest editor’, en général un leader d’opinions qui va suggérer des thèmes. Il y a une grande variabilité et ces numéros ont de 5 à 20 articles, avec des délais courts de soumission des manuscrits.
2. Soumission et peer-review : les auteurs peuvent soumettre sur le site du journal, ou souvent sous forme d’attachement à un mail adressé directement au guest editor sans passer par le journal ! La décision d’accepter un manuscrit varie beaucoup, du rédacteur en chef pour les journaux légitimes au guest editor dans les journaux de piètre qualité…
3. Production et publication

Une analyse de 35 000 articles de numéros spéciaux

Les auteurs ont sélectionné 35 142 articles de numéros spéciaux (2018 à 2022) de journaux dans le WoS (Web of Science). Les méthodes sont insuffisamment décrites. Attention pour interpréter car ce sont des numéros spéciaux de journaux avec facteur d’impact, ce qui explique que les éditeurs anciens et légitimes soient représentés, alors que des éditeurs de piètre qualité qui font beaucoup de numéros spéciaux sont moins représentés (tous leurs journaux n’ont pas de facteur d’impact). Voici les observations sur ces 35 142 articles :

• Les éditeurs ayant publiés des articles de numéros spéciaux sont Elsevier (19 %), Taylor & Francis (13 %), Springer Nature (12 %), MDPI (11 %), Wiley (8 %) et Sage (6 %).
• Les journaux ayant publié le plus d’articles dans des numéros spéciaux : Neuropharmacology, Applied Sciences Basel, Neuroscience, Sustainability, International Journal of Molecular Sciences, IEEE Transactions on computer aided design of integrated circuits and systems.
• Les domaines WoS de ces articles : Environmental sciences (3,8 %), Engineering Electrical Electronic (3,8 %), Eudcational Research (3,6 %), Management (3,6 %), Materials Science Multidisciplinary (3,6 %), Neursciences (3,5 %), Economics (3,4 %), Computer Science Information Systems (3,3 %), Physics Applied (3,1 %), Business (3,1 %), Political Science (3,0 %).

Réflexions diverses sur les numéros spéciaux

Beaucoup d’idées dans cet article et je reprends quelques commentaires : tous contents (auteurs, guest editors et éditeurs) ; guest editors deviennent leader d’un domaine ; taux d’acceptation des articles plutôt haut ; augmentation des citations ; numéros spéciaux utiles pour jeunes chercheurs qui débutent dans un domaine ; formation de réseaux de chercheurs sous l’égide d’un guest editor ; courbe d’apprentissage pour les guest editors qui ne savent pas bien gérer les flux des articles ; publication de conférences facilitée ; des critiques sur la mauvaise qualité de ces numéros spéciaux ; utilisation des numéros spéciaux par les paper mills ; rôle de l’IA pour écrire ces articles ; prévalence des revues de littérature sur les articles originaux (à confirmer) ; chiffres d’affaires qui permettent de gratifier les guest editors ; méconduites facilitées (à confirmer).

Une vingtaine de recommandations sont proposées pour faire plus de recherches sur ces pratiques

Popularisés par MDPI et Frontiers, les numéros spéciaux ont été adoptés par les éditeurs de qualité

Dans un article de juillet 2024 dans Accountability in Research, il y a une description des stratégies des journaux pour rester dans la course : ‘Special issueization’ as a growth and revenue strategy: Reproduction by the “big five” and the risks for research integrity’. Des revues ont adopté les numéros spéciaux rapidement avec des risques pour l’intégrité scientifique…. De nombreuses rétractations ont été faites suites aux manipulations des guest editors.