Défendre l'indéfendable… et pourtant personne n'est gêné !
C'est une étude originale et passionnante publiée par une équipe de chercheurs américains fin 2017 dans "Journal of Empirical Research on Human Research Ethics". L'objectif était de qualifier 40 pratiques dites "QRPs" pour "Questionable Research Practices" pour les grouper en pratiques impossibles à cautionner et pratiques sur lesquelles on pourrait fermer les yeux… En général, 2 % des chercheurs admettent avoir fraudé, et environ 70 % ont utilisé des pratiques discutables en recherche. La plupart de ces 70 % ont des arguments pour justifier cette habitude, le premier semblant être que tout le monde le fait. Un chercheur peut admettre qu'il soit nécessaire, voire normal, d'arranger les résultats pour rester compétitif, et avoir des ressources !
La méthodologie est bonne… avec la préparation d'une liste de 40 pratiques discutables, un échantillon de 3500 investigateurs américains ayant eu un grant en 2016. Mais un taux de réponse trop faible (136 personnes) attribué au long questionnaire, à l'absence de compensation et surtout à l'aversion de répondre à ce type d'investigation. Beaucoup de résultats, dont j'ai repris les principaux :
16 pratiques ont été jugées injustifiables :
- ne pas obtenir un consentement éclairé approprié ;
- dissimuler des données ou des résultats qui contredisent ses propres recherches antérieures ;
- utiliser les idées, mots, images ou autres documents d'autrui sans les citer ;
- ne pas divulguer les détails pertinents de la méthodologie ou des résultats dans une publication ;
- réutiliser ses propres données, résultats ou analyses publiés antérieurement sans les citer ;
- ne pas divulguer tous les conflits d'intérêts potentiellement pertinents ;
- ne pas publier des résultats spécifiquement pour plaire à un commanditaire ;
- soumettre un manuscrit dans lequel le promoteur a participé à l'analyse des données et/ou à la préparation du manuscrit sans divulguer le rôle du promoteur ;
- omettre de reconnaître les sources importantes d'aide financière ;
- ajouter ou supprimer des coauteurs pour augmenter les chances d'acceptation ;
- négliger ou ignorer l'inconduite d'autrui en matière de recherche ;
- refuser de partager des données ou du matériel avec d'autres chercheurs pour éviter que des questions sur la qualité de votre travail ne soient soulevées ;
- négliger ou ignorer les pratiques de recherche discutables ;
- fournir une relecture (peer-review) biaisée d'un manuscrit soumis à une revue pour publication afin de retarder sa publication au profit de sa propre recherche ;
- refuser de fournir des données expérimentales à un coauteur ;
- soumettre une recherche pour publication sans la permission de tous les auteurs.
15 pratiques ont été jugées acceptables :
- augmenter les chances de publication, en violant l'idéal de "remplacer, réduire, affiner" pour l'utilisation des animaux de recherche ;
- ajouter d'autres participants à la recherche parce que les résultats recueillis ne sont pas encore statistiquement significatifs ;
- arrêter de recueillir les données plus tôt que prévu parce que le résultat hypothétique avait déjà été atteint ;
- arrondir une valeur p simplement pour que les résultats paraissent plus significatifs, par exemple en rapportant une valeur p de 0,044 à p = 0,04 ;
- décider s'il faut inclure ou exclure des données après avoir examiné l'incidence de cette décision sur les résultats ;
- le fait de ne pas déclarer toutes les mesures des résultats d'une étude ;
- examiner sélectivement uniquement les résultats qui supportent les hypothèses ;
- signaler un résultat inattendu comme ayant été prévu dès le début, lors des hypothèses ;
- tirer de fortes inférences à partir de résultats statistiquement significatifs mais sous-puissants ;
- rapports sélectifs sur les sous-groupes, les résultats et les dates de mesures ;
- retarder délibérément l'annonce des résultats pour les publier dans un journal à impact plus élevé ;
- réutilisation de ses propres idées ou mots déjà publiés sans citation, comme les parties d'une section d'analyse documentaire, une introduction ou une méthodologie, mais sans une réutilisation des données, des résultats ou de l'analyse ;
- publier les résultats d'une seule étude sous la forme de plusieurs articles dans le seul but d'augmenter le nombre de publications dérivées de la recherche (problème du "découpage en tranches de salami") ;
- changer la conception, la méthodologie ou les résultats d'une étude pour plaire à un commanditaire ;
- reconnaître l'assistance technique d'une autre personne dans la publication sans sa permission.
PS : je remercie Donald Sacco
Un commentaire
J’hallucine quand je lis les 16 pratiques jugées injustifiables, car elles sont pratiquées semble-t-il plutôt couramment.
J’hallucine encore plus sur les 15 pratiques jugées acceptables.
Cela montre à quel point la « science » est « pourrie ».
Mais ce qui est grave c’est que cela soit accepté et que comme vous l’écrivez dans un billet précédent, il y a une majorité de naïfs pour croire à la lettre et sans esprit critique ce qui est écrit dans la littérature
Vous allez sûrement m’écrire que les choses avancent dans le bon sens comme en témoigne cet article.
Oui sans doute, mais à quelle vitesse?
Je crains malgré tout que le résultat que nous appelons de nos vœux ne sont pas encore pour « demain ».