J’ai été invité pour faire très brièvement l’histoire de l’EBM (Evidence-based-Medicine) pour des médecins généralistes. C’était la préconférence annuelle de Fayr GP, palais des congrès, Paris en mars 2024.
Faut-il remplacer l’EBM ? Oui mais par quoi ?
J’ai repris mon propos dans la vidéo de 8 minutes ci-dessous. Archie Cochrane dans sont livre de 1971 avait posé les bases de la médecine fondée sur les preuves. Il pensait que les systèmes de santé ne devaient rembourser que les soins efficaces ! Ensuite ce sont Cynthia Mulrow, Gordon Guyatt, Iain Chalmers et bien d’autres qui ont formalisé les bases EBM. La collaboration Cochrane a disséminé les revues systématiques. Le terme de médecine scientifique avait été initialement proposé par G Guyatt.. mais refusé par son université.
L’histoire a été reprise dans un article de 2014 dans le JAMA. Une vidéo de 8 minutes impose des choix.. c’est incomplet !
EBM+ : un nouveau paradigme pour la pratique quotidienne de la médecine générale
Deux orateurs m’ont suivi :
Bruno Falissard a repris les informations d’un excellent rapport de février 2024 par l’Académie nationale de médecine intitulé Comprendre la place de l’irrationalité dans le soin : quelles conséquences pour la pratique et la formation des soignants ? B Falissard était le rapporteur de ce travail. Je cite : Un « bon » soin est ainsi un
soin efficace, dont les effets indésirables sont limités et qui fait sens pour le patient qui va en bénéficier. Et plus loin, en illustrant la difficile cohabitation des faits, des normes et des valeurs :
- Dans le soin médical il existe de nombreuses normes, parmi lesquelles se trouvent notamment diverses stratégies thérapeutiques homologuées auxquelles il faut recourir face à des situations cliniques caractérisées. En pratique, ces normes sont aujourd’hui générées à partir de résultats d’études scientifiques conformes aux exigences de l’Evidence Based Medicine (EBM, en français : médecine fondée sur les preuves).
- Enfin, en médecine il existe des faits, c’est-à-dire des propositions qui correspondent sans le moindre doute à la réalité, en tous cas sans le moindre doute raisonnable. Car il existe bel et bien une réalité en médecine, en particulier la réalité de la fin de toute existence humaine, la mort. Par ailleurs, le médecin a un rapport au doute différent du scientifique ou du philosophe car il se doit d’agir et, souvent, il se doit d’agir vite.
Rémy Boussageon a communiqué ensuite sur : EBM + : une incompréhension de l’épistémologie des ECR ? ECR pour essais contrôlés randomisés. Très belles réflexions dont je reprends la dernière diapo :
- L’histoire et l’épistémologie de l’évaluation de l’efficacité moyenne et spécifique des thérapeutiques conduit aux essais cliniques randomisés
- Mécanismes et Observations = « hypothesis generating »
- ECR = « hypothesis testing » et décisionnel (Neyman)
- ECR permet « l’entendement » (objectivité ?) devant les désaccords?
- Mais attention, ECR de type confirmatoire et à bas risque de biais ++ et portant sur des critères « orientés patient » (pas surrogate)
- Etape nécessaire ++ (limite « l’hubris médicale ») ++ un monde sans ECR?
- Mais non suffisante : les autres études sont indispensables pour toutes les autres questions
Un commentaire
Il me parait essentiel de retenir que l’EBM est une médecine statistique, c’est à dire qu’on peut en inférer les probabilités de pertinence d’une pratique dans un groupe sélectionné sur des critères d’inclusion/exclusion.
Cette approche statistique n’est cependant qu’une composante très partielle de la médecine. Elle est en outre partiale car sa pratique (conception, interprétation, diffusion…) reste exposée à d’innombrables biais.
Plus préoccupant encore est qu’en médecine générale seule une maigre fraction de l’exercice peut se fonder sur des résultats validés selon la méthodologie expérimentale de l’EBM. Et l’on peut ajouter que les conclusions les plus indiscutables en EBM sont le plus souvent… une impossibilité de conclure !
Comme toujours en bonne science, le rôle indispensable de l’EBM est de démontrer la futilité de pratiques infondées, quand ce n’est pas leur nocivité. C’est ce qui fait toute sa valeur et l’importance cruciale de l’enseigner avec cet unique objectif.