Attention, le facteur d’impact des journaux est un bon outil de bibliométrie. C’est son utilisation pour la promotion des carrières et la répartition des ressources qui pose problème. Un des 9 journaux de l‘Entomological Society of America nous alerte sur la perversion du facteur d’impact. Les journaux de l’ESA sont publiés par Oxford University Press. Ce sont deux éditoriaux successifs de David D Onstad, rédacteur en chef des Annals of the Entomological Society of America qui attirent notre attention. Il qualifie le facteur d’impact de crypto-monnaie !
Journal impact factor is NOT a measure of scientific or social worth of an article
Cet éditorial est du 3 janvier 2024. Je traduis le début : Au 21e siècle, les citations et le facteur d’impact des journaux (JIF) sont devenus une sorte de crypto-monnaie. Les entomologistes et leurs superviseurs utilisent ces chiffres calculés pour quantifier facilement les contributions scientifiques par rapport aux méthodes plus traditionnelles telles que le nombre d’articles publiés et examinés par des pairs, ou même les estimations qualitatives de la valeur de la recherche.
L’auteur utilise des exemples à partir de l’avocat, marché de 12 milliards de dollars, mais avec très peu de publications dans des journaux scientifiques, et pas dans des journaux à facteur d’impact élevé. Et les articles sont peu cités. Rechercher des données sur les avocats dans des journaux à facteur d’impact élevé ne donne presque rien. De plus, des articles très anciens ont de la valeur, et beaucoup plus de valeur que ces articles de moins de deux ans qui contribuent au calcul du facteur d’impact.
The ethical and social effects of the obsession over Journal Impact Factor
Cet éditorial est de mars 2024, avec un co-auteur. Je traduis l’extrait qui correspond au premier paragraphe : L’obsession actuelle pour le facteur d’impact des revues (JIF) a une influence forte et, dans la plupart des cas, délétère sur les scientifiques et les sociétés scientifiques (Schloss et Cuomo, 2023). Dans un précédent éditorial, Onstad (2024) a montré que le JIF est peu utile et peut être trompeur dans l’évaluation de la valeur des publications entomologiques. Il a conclu que « le JIF n’a pas été créé pour être utilisé dans le système de récompense scientifique, mais plutôt pour permettre aux éditeurs de se faire concurrence. Il ne représente pas une mesure quantitative de la valeur relative d’un auteur ou d’un article pour la société ou la science. Les entomologistes ne doivent pas être influencés par le JIF lorsqu’ils soumettent, lisent ou jugent un article. Dans la discussion qui suit, nous soulignons les conséquences pour la communauté entomologique de l’obsession actuelle pour les JIF et les citations. Nous soutenons que cette obsession a un effet négatif disproportionné sur les femmes, les petites cohortes de scientifiques travaillant dans des domaines très circonscrits et les sociétés scientifiques à but non lucratif. Nous terminons par un appel aux entomologistes pour qu’ils contribuent à contrecarrer cette tendance.
La religion du facteur d’impact
Article bien documenté et passionnant qui montre la naïveté de la plupart de ces grands décideurs qui ont été convertis. Je cite le premier paragraphe d’un article de Jacques Robert dans Innovations & Thérapeutiques en Oncologie de mars-avril 2024 : Une nouvelle religion est née au cours du xxe siècle : celle de l’impact factor. Comme toutes les grandes religions, elle est venue au monde dans une communauté restreinte de sages croyants qui en ont fixé les dogmes, puis s’est étendue parmi les peuples destinataires du message, générant au passage des conquêtes, suscitant des hérésies, des anathèmes et des déviances. Et puis, en quelques années, elle a été adoptée par la foule des convertis du monde entier qui en ont fait un outil de décervelage intensif. Comment en est-on arrivé là ? Cet article est bien documenté et décrit des manipulations du facteur d’impact, avec 30 références.
C’est épuisant d’expliquer depuis 30 ans les perversions causées par le facteur d’impact
Sur ce blog, j’ai publié des billets sur ces méconduites, et même évoqué le requiem du facteur d’impact en 2021. Rappelons qu’en France en janvier 2011, l’Académie des sciences alertait sur ces méconduites, puis le rapport R Gaillard sur l’évolution du statut hospitalo-universitaire en mai 2011… mais rien ne s’est passé, sauf la signature de DORA qui n’a pas fait évoluer les évaluations !
Depuis plus de 25 ans, des articles dénoncent ces mauvaises pratiques, avec PO Seglen en 1997 dans le BMJ : Why the impact factor of journals should not be used for evaluating research
J’ai publié dès 2002 des articles dans des revues françaises pour expliquer ces méconduites, sans être entendu bien sûr ! L’image ci-dessus est un exemple d’un article de 2015….
Je remercie D Onstad et J Robert