J’ai été passionné par ce livre sur un médicament (Spasfon) car l’autrice n’est pas médecin : Juliette Ferry-Daniel est spécialisée en philosophie de la médecine. Son analyse de l’ignorance des médecins est très bien faite, factuelle sans accuser. L’agnotologie a encore de l’avenir en médecine !
Une attitude paternaliste inacceptable : des médecins prescrivent encore ce médicament dont l’efficacité n’a jamais été prouvée
Nous avons eu le Médiator, mais le Spasfon est un cas similaire, sauf que les effets indésirables sont moins graves. Tout part de la pose d’un stérilet et de la prescription préventive de Spasfon : situation commune ! Le Spasfon a été mis sur le marché en 1964 avec un dossier sur 10 malades (pages 98) et ensuite AMM (autorisation de mise sur le marché en 1974)… puis avis des agences.. tout est précis et exact. Spasfon n’est probablement pas le seul médicament ayant eu un visa dans les années 60s (le visa était obtenu lors d’un rendez-vous au ministère avec un dossier sous le bras…. je n’en dirai pas plus).
La lecture de ce livre m’a rendu triste car une profession et les agences publiques ne sont pas capables de réagir : inertie générale qui accepte une prescription de 23 à 25 millions de boites par an sur les dix dernières années… avec la complicité de l’Assurance maladie, payeur aveugle qui ne peut que rembourser. Le travail de l’autrice est remarquable en décrivant toute l’histoire du Spasfon : quelques essais non éthiques, absence d’archives montrant l’efficacité, yeux fermés des instances qui n’exigent même pas de refaire un essai randomisé (un seul serait bien mais pas suffisant !)… Il y a d’excellentes réflexions sur les comportements des patients, des professionnels de santé… L’autrice détaille ce qu’est une preuve en médecine et ne l’a pas trouvée pour le Spasfon malgré une enquête de qualité. J’avoue avoir prescrit du Spafon au début de ma carrière…. même des suppositoires et de l’injectable… Je viens de lire le Vidal : vaux mieux en rire ! Quand je lis ‘Les données disponibles ne permettent pas de savoir si ce médicament passe dans le lait maternel : il est déconseillé pendant l’allaitement sans avis médical.’, je suppose qu’il n’existe aucune étude !
C’est effectivement une pilule rose avec toute une histoire purement française qui a profité à son inventeur et aux sociétés Cephalon puis Teva Santé. C’est un espace d’ignorance dans la médecine française, espace où la connaissance scientifique a été injustement retardée (pages 11 & 12).
Bonnes réflexions sur la connaissance médicale (ou plutôt l’ignorance)
J’ai bien aimé la construction du livre reprenant les approches épistémologiques distinctes entre Claude Bernard (1813-1878) et Pierre-Charles Louis (1787-1872). Tout est très bien décrit, avec ensuite les essais randomisés et la médecine fondée sur des données probantes. Il existe deux revues systématiques qui doivent être consternantes (le résumé de la revue de 2019 par Clara Blanchard fait très peur : aucune donnée). Il existe un essai randomisé (phase dite IV, ou seeding trial) dans une seule des indications (le côlon irritable) avec 307 patients inclus en 2005 par des médecins généralistes : j’aimerai voir le protocole et l’analyse statistique et cet essai mériterait d’être refait pour confirmer..
Ne pouvant pas résumer correctement ce livre, j’emprunte un paragraphe de la page 182 : ‘L’ignorance en médecine dans le cas du Spasfon, c’est ne pas connaître son origine et les raisons pour lesquelles il a tant de succès en France ; c’est la difficulté d’accéder aux archives pour répondre à ces questions ; c’est le manque de données scientifiques sur le phloroglucinol ; c’est l’absence de réaction des autorités sanitaires face à ce fait ; c’est l’absence de réaction des praticiens et praticiennes de santé face à cette situation ; c’est potentiellement l’ignorance de certains professionnels de santé au sujet du phloroglucinol ; c’est l’ignorance dans laquelle sont maintenus la population et les patients face à des prescriptions auxquelles nous ne pouvons consentir de façon éclairée ; enfin, c’est croire à tort qu’un placebo peut nous soigner et qu’il ne peut pas nous faire de mal. Ce livre n’a pas eu pour but de combattre le Spasfon, mais cette situation d’ignorance qui l’entoure, en apportant les connaissances philosophiques pour comprendre les enjeux qui se cachent derrière chacune de ces questions. La philosophie de la médecine ne soigne pas, mais elle permet de briser le voile de l’ignorance qui recouvre toujours la médecine française aujourd’hui et dont ces pilules roses si familières sont la pierre de touche’.
J’ai apprécié une analyse dans la revue de la société de philosophie des sciences (accès libre).
7 commentaires
Il vaut mieux lire le Vidal professionnel et le site Pharmacodynamie. Vous serez tout à fait édifié !
Pour tous les médicaments, dont vous ignorez s’ils auront un effet secondaire voire plusieurs et que vous aurez identifié leur grade au regard du DRESS, il peut s’avérer utile de savoir constituer un dossier en vue d’établir l’imputabilité du médicament en cause, afin d’obtenir une indemnisation éventuelle, par l’ONIAM. Mon conseil.. Entrainez-vous avant l’accident médicamenteux !
Et si c était efficace malgré tout
Difficile d expliquer une prescription aussi longue et aussi fréquente sinon
Bon les sirops pour la toux c est pareil!
Mais c est plus dangereux je pense .
Asthme anesthésie avec curares…
La durée de prescriptions inutiles voire dangereuses , ne peut en aucun cas être un argument pour justifier une éventuelle efficacité . La prescription des saignées pendant des décennies, les prescriptions de préparations homéopathiques depuis le 19 ème siècle et de bien d’autres médicaments comme le Spasfon tombés depuis en désuétude en sont de manifestations récurrentes . Ce sont ces croyances souvent enracinées chez les professionnels de santé et le public qui ont favorisé l’adhésion d’un grand nombre de personnes à l’efficacité de l’hydrxychloroquine ou la vitamine D pour traiter le Covid 19 . En tant que médecins nous sommes souvent autant motivés par les arguments scientifiques que par nos croyances et nos systèmes de représentation , sutout quand ces dernières sont mises avant par les publicités des industriels pour amener à prescrire leurs produits .
Bonjour,
J’ai découvert le phloroglucinol en 1970 dans le service des urgences de mon CHU où j’étais externe. Cette molécule (isolée au départ du pommier) était utilisée comme un antispasmodique électif de la sphère urinaire, et pas des autres organes.
Cinquante-cinq ans plus tard, il semble qu’on ait mis le phloroglucinol à différentes sauces et qu’on l’accuse maintenant d’être totalement inefficace. Pour les utilisations hors de cette indication initiale, j’en suis convaincu. Concernant l’emploi en urologie, il faudrait certainement une réévaluation sérieuse avant de le descendre en flammes.
Merci pour tous ces commentaires
L’agence du médicament devrait exiger des essais randomisés pour ces vieux médicaments… Ce serait un minimum !!!
Amicalement
Je me souviens que lors de ma première année d’internat (1976) le premier médicament prescrit à l’APHP était l’hydergine (« amélioration » des fonctions cérébrales) puis le madecassol (cicatrisant etc….)!! Ou sont-ils ! Le pholoroglucinol n’est qu’un autre exemple d’une incompétence très générale des agences d’évaluation et des prescripteurs, sous emprise des laboratoires.
Maintenant, « c’est bien fini…. » Erreur! Voyez ces anticancéreux dits « innovants (c’est nouveau donc meilleur….), horriblement chers, autorisés sur la base d’essais cliniques de phase II (patients sélectionnés +++) montrant une augmentation de la PFS (progression free survival) de 2 mois (mais c’est significatif…à p=0,03 ) mais rien en OS (survie globale) et au prix d’effets indésirables majeurs ! Et le bevacizumab retiré aux USA dans le cancer du sein (inefficacité prouvé après un large essai exigé par la FDA qui avait pourtant initialement accordé une AMM , certes sous pression énorme du fabricant, le laboratoire Roche) mais qui reste autorisé en Europe et qui représente des dépenses inouïes !!