J’ai aimé cet article malgré la prise de tête pour bien le comprendre. Je l’ai lu deux fois et j’ai compris des trucs parfois complexes. L’auteur est Olivier Leclerc, Centre de théorie et analyse du droit, Université Paris Nanterre, dont nous avons évoqué son livre sur ce blog. Publié dans Research Evaluation fin janvier 2025, le titre est : Proving research misconduct.
Introduction avec un recul historique
Il y a les mentions des débuts dans les années 1990s aux USA avec ORI (précédé de l’OSI !). Article bien documenté, avec l’histoire aussi par des citations de livres que j’ai sur mes étagères (Lafollette 1992) et de citations de bons experts que j’ai croisés, dont Resnik, etc… Bonnes ressources avec des exemples de codes européens, avec des références françaises aux de guides du RESINT, et avec l’expérience du CNSER. Très technique mais parfait. L’article est en quatre parties en expliquant chaque fois les problématiques des RIO (Research Intergrity Officers) ou RIS (Référents Intégrité Scientifique). Voici le plan, bien que résumer cet article soit ambitieux :
1 Charge de la preuve (Burden of proof)
Il y a deux phases, résumées dans des tableaux ci-dessous : la charge de production, charge de rassembler les preuves et la charge de persuasion pour convaincre le juge de la véracité des faits.
2 L’objet de la preuve : qu’est ce qui doit être prouvé ?
C’est dans cette phase qu’il y a une difficulté de prouver les faits quand il s’agit de pratiques discutables en recherche (QRPs ou Questionnable Research Practices) par rapport aux fraudes (fabrication, falsification, plagiat). Et que faire des erreurs honnêtes ? Il faut établir des faits précis, avec lieu et dates. Les QRPs sont une vaste zone grise avec des zones d’incertitudes importantes. Est-ce qu’un comportement était intentionnel ou non ? Bons exemples du CNESER dans cette partie. En pratique, beaucoup d’incertitudes, et ces QRPs sont bien décrites dans de nombreux codes de recherche responsable, d’intégrité.
3 Recevabilité des preuves
Existe-t-il assez d’éléments pour prouver les faits ? Des auditions, des témoignages de collègues ou autres employés sont utilisés par les référents intégrité. Les référents ou les juges peuvent demander accès aux données de laboratoire, ordinateurs, etc. Des investigations peuvent être confiées à des tiers, experts plus compétents que les référents et juges. Les interprétations de ces observations sont délicates.
4 Exclusion de preuves
Que faire des preuves qui peuvent potentiellement violer la confidentialité de données. un caractère secret peut accompagner les investigations. On ne peut pas communiquer des mails sans le consentement de leurs auteurs… avec des différences entre l’ordre académique et l’ordre juridique devant lequel le secret des preuves peut être levé sous certaines conditions. Et il existe le cas de preuves portant préjudice à la loyauté de la preuve : par exemple un enregistrement obtenu à l’insu d’une personne… qui n’a pas consenti. Une autre situation complexe : Preuves portant atteinte au caractère contradictoire de la procédure.
La conclusion nous questionne sur la cohabitation d’un ordre académique et d’un ordre judiciaire
Are these differences warranted or should they be reduced or even eliminated? Should RIOs be brought closer to judges and should the rules of evidence applicable before them be aligned with those applicable in the courts? With regard to the presentation of evidence, there is a certain appeal in aligning the status of RIOs with that of judges. This would permit the submission of a greater quantity of evidence and the transformation of their investigations into a quasi-judicial “court of science”. However, beyond the question of evidence, there are significant disadvantages to equating RIOs with judges. RIOs are responsible for evaluating conduct in accordance with the established norms and values of research integrity. In contrast, judges consider a broader range of factors, including the interests at stake, the individual involved, the material conditions in which the individual carries out their activities, and the potential influence of third parties or the institutions within which the scientific activities are conducted. Consequently, if we wish to permit RIOs to conduct investigations on the basis of scientific criteria alone, it is essential to accept the concomitant limitations, including with regard to the proof of research misconduct
Nous avons vu que les chinois ont tranché ce débat !
Je remercie Olivier Leclerc
Un commentaire
Rien de bien neuf : la question de la preuve est le noeud gordien de la Justice depuis qu’elle existe : quelle est la matérialité de la faute, quelle est la culpabilité de l’accusé? Son corollaire est la question de l’expertise, à laquelle il incombe dans la plupart des affaires d’établir la réalité des dommages subis, d’une faute et leur lien causal.
Ce qui est nouveau est une interrogation sur la place de la Justice courante dans le domaine scientifique : y est-elle légitime ? En réalité, il est inutile d’inventer des juridictions spéciales : tout dommage provoqué par un tiers justifie sa judiciarisation. Il suffit donc en principe que les victimes des méfaits scientifiques portent plainte en raison des subis.
Ce qui fait défaut en pratique est donc clair. Il faut un corps d’avocats vraiment spécialisés dans la poursuite des fautes professionnelles en science, comme il s’en est est constitué dans tous les autres métiers (ce que les médecins, en particulier, savent trop bien). Les actions judiciaires nécessitent que se manifestent des victimes des fautes délibérées en science et que soient reconnus, caractérisés et mesurés, les dommages causés. On croit trop aujourd’hui que c’est un problème interne au milieu scientifique, véniel pour la société. Cette idée doit être ardemment combattue et les conséquences des inconduites scientifiques doivent être reconnues, décrites, chiffrées. En gros, on peut notamment toujours évaluer leur coût indu pour les financeurs de la recherche, leur impact péjoratif sur l’obtention d’applications critiques (en thérapeutique, par exemple), le temps perdu par les équipes victimes de ces fraudeurs… Les personnes, les collectivités, les associations, doivent s’en emparer au pénal et faire condamner les coupables aux dépens – au delà des trop insuffisantes sanctions disciplinaires.
Il me semble que les instruments judiciaires existent, mais que le travail de judiciarisation des activités scientifiques reste à faire.