Je viens de lire, avec un certain plaisir, un livre qui raconte le scandale des implants Essure. Ce sont des témoignages de femmes auxquelles ont été implantées ces ‘devices’ dans les trompes pour assurer une contraception. En pratique, ces implants n’auraient jamais dû être commercialisés puis implantés. Les gynécologues et Bayer (qui a acheté Conceptus), avec une complicité probable des autorités, n’ont pas pris les précautions élémentaires pour s’assurer que les effets bénéfiques étaient supérieurs aux complications.
En France, 200 000 femmes ont eu des implants Essure, et 30 000 ont demandé de l’enlever. Des symptômes (fatigues intenses, douleurs chroniques, hémorragies, troubles musculo-skelettiques, troubles nerveux…) ont alerté ces femmes dont la vie a parfois été fortement impactée après la pose de l’implant. Mais comment être écoutées par les professionnels (vieux mâles aux têtes blanches) et les autorités qui n’ont pas d’autorité. Comment prouver la causalité ? A partir de quelles données probantes ? Ce sont des témoignages de femmes auxquelles on a fait croire qu’il existait des données de sécurité. L’argent a probablement été un moteur pour l’industriel, voire peut-être pour d’autres experts (je n’ai pas de preuves).
Le livre se lit facilement, avec compassion, en se demandant si tout est vrai, mais sans arguments pour croire le contraire. La situation américaine est différente de celles d’autres pays : aux USA, Bayer a versé 1,6 milliards de dollars pour indemniser 39 000 patientes. C’est un arrangement amiable qui ne dit pas qu’Essure a des risques… C’est bizarre de verser cette somme sans reconnaître la responsabilité d’Essure.
Le livre est parfois insuffisamment documenté, et les deux autrices sont des journalistes d’opinion, plutôt que des journalistes d’investigation. Par exemple, en page 141, elles mentionnent une réponse de Bayer, par l’intermédiaire d’un avocat, qui mérite des éclaircissements : « La sécurité d’Essure est étayée par un solide corpus de données d’études scientifiques. …. 10 essais cliniques, 70 études observationnelles en vie réelle….. sept études sur 7 montrent que les patientes traitées par Essure sont moins susceptibles de subir une hystérectomie que les patients ayant subi une ligature des trompes… ». Il n’est pas acceptable de prendre en compte ces charabias de juristes sans la liste précise des études, et une évaluation scientifique. Nous connaissons la qualité de la littérature qui est exécrable, et la littérature en gynécologie est plus mauvaise que dans d’autres spécialités. Il n’est pas acceptable de propager ces opinions sans avoir les données…. Les autrices auraient dû vérifier les sources comme le font les journalistes d’investigation (qui lisent les articles scientifiques pour les évaluer). Il existe des études publiées dans des revues à comité de lecture qui devraient être analysées.
Les autorités, par leur passivité, sont parfois complices et des exemples existent :
- lisez l’ouvrage d’Anne Jouan racontant l’histoire du Merdiator montrant que des décisions auraient dû être prises plus tôt ;
- lisez l’article de Milbank Quaterly : Pharmaceutical Drugs of Uncertain Value, Lifecycle Regulation at the US Food and Drug Administration, and Institutional Incumbency. Les résultats, bien qu’américains, et concernant les anticancéreux, sont probablement généralisables : les experts de la FDA n’ont pas de marge de manœuvre pour prendre des décisions car ils sont 3 à décider pour mettre un médicament sur le marché : les industriels, le politique (influencé par les patients) et la FDA. A ce jeu à 3, souvent c’est une décision à 2 contre 1.
- Pour Essure, que s’est-il passé pour que tout déraille ?
Lien d’intérêts : je connais certaines des personnes mentionnées dans l’ouvrage, et je ne suis pas gynécologue.