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Les dérapages des revues mercantiles de complaisance : cas de Biomedicine & Pharmacotherapy

Points clés

J’ai été étonné par la rétractation le 23 août 2024 d’un article émettant l’hypothèse que l’hydroxychloroquine avait causé la mort de 17 000 patients traités pour un COVID-19. J’avais évoqué cet article dans un billet du 9 janvier 2024. Je reviendrais sur cette histoire troublante, et la presse grand public commence à en parler : RTS le 26 août, puis un excellent article de Libération le 29 août avec pour titre Covid-19 : la rétractation d’une étude imputant 17 000 morts à l’usage de l’hydroxychloroquine suscite la controverse. D’autres articles arrivent.

La revue Biomedicine and Pharmacotherapy a publié puis retiré de la littérature cet article dans des conditions bizarres sur lesquelles je reviendrai. Analysons d’abord le fonctionnement de cette revue.

Biomedicine and Pharmacotherapy : une revue de complaisance

Il s’agit d’une revue qui n’est pas sous l’égide d’une société savante, qui a été créée en 1956 par un expert français, Georges Mathé. Elsevier a acquis cette revue en 1988. Les précédents noms de cette revue, d’après Wikipedia étaient : Biomédicine; Revue Européenne d’Études Cliniques et Biologiques; Revue Française d’Études Cliniques et Biologiques. Tout ceci serait à vérifier.

Sur le site de la revue Biomedicine & Pharmacotherapy (B & P), fin août 2024, nous avons des informations :

  • Indicateurs de la revue: facteur d’impact de 6,9 ; APC (ou FTA Frais de Traitement des Articles) de 3 490 USD ; les ‘publishing timelines’ sont : de 17 jours (time to first decision) ; 36 jours (review time) ; 66 jours (submission to acceptance) ; 5 jours (acceptance to publication).
  • A noter que la revue ne précise pas le taux d’acceptation ou de refus des articles soumis
  • Le comité de rédaction étonne (voir en fin de billet)
  • Politique de la revue. Dans Aims and Scope, il y a :

B & P is a multidisciplinary journal which publishes full-length, original research reports, reviews, and preliminary communications or letters to the editor which fall within the general scope of clinical and basic medicine and pharmacology.

The general fields of interest will include Cancer, Nutriceutics, Neurodegenerative, Cardiac and Infectious Diseases.

Special emphasis will be placed on studies of specific topics such as molecular mechanisms, gene regulation in normal and pathologic cells as well as susceptibility in response to oncogenic agents. Effects of drugs on preclinical and clinical pharmacology and the role of bacteria, viruses and parasites in animals and humans.

80 % des articles de B & P proviennent d’auteurs chinois

Cette revue publie environ 1 600 articles par an, dont 30 % de revues de littérature. J’ai regardé les 6 premiers volumes de 2024 :

b & p

En juin 2024, il y a eu 56 revues générales publiées, dont 45 par des premiers auteurs affiliés en Chine, et 11 dans d’autres pays : 2 articles avec affiliation en Iran, 2 en Pologne et un article pour chaque pays suivant : Allemagne, Australie (Chine en fait ?), Indonésie, Italie, Qatar, République de Corée, USA.

Sur ces 56 revues générales, j’ai recompté les ‘publishing timelines’ et mes résultats confirment les données présentées sur le site de la revue (citées ci-dessus).

En survolant des articles, des revues de littérature semblent être des cours basiques de faculté de médecine… Allez voir des titres d’articles et survolez ces articles, vous serez aussi très étonnés. Est-ce que ces articles correspondent aux missions de la revue : Sex-specific pharmacokinetic response to phytoestrogens in Drosophila melanogaster (research article) ; Newsights of endoplasmic reticulum in hypoxia (review) ; Exploring new mechanisms of Imeglimin in diabetes treatment: Amelioration of mitochondrial dysfunction (review) ????

Un peer review défaillant ?

Parmi les  3 801 revues identifiées comme ayant des articles contenant des ‘phrases torturées’, il y a la revue B & P. Ce sont 8 articles qui ont été signalés (au 28 août 2024). Ces phrases torturées , mises en évidence avec le ‘Problematic Paper Screener’ traduisent en général une utilisation de l’intelligence artificielle non dépistée. Cela met en évidence une relecture insuffisante du manuscrit avant publication. Ceci confirme que le peer review laisse passer des phrases bizarres. Les revues prestigieuses ne se font pas prendre par des phrases bizarres.

B & P pratique la rétractation d’environ 3 articles par mois, ce qui montre que l’évaluation par les pairs doit être laxiste, mais aussi que la revue reconnait les problèmes. Les causes des rétractations sont souvent des images bricolées.

Un bon business avec l’argent des institutions

Les revenus annuels avec 1 600 articles seraient d’environ 5 584 000 USD car l’APC est de 3 490 USD. Compte tenu de ristournes et de facilités faites à des auteurs, les revenus sont inférieurs à ce chiffre, disons 5 millions de dollars par an ! Quelles sont les coûts pour gérer une revue de ce type ? Quelles sont les rémunérations du board ? Les 3 200 (minimum) relecteurs externes ne sont pas dédommagés en général. Les coûts techniques de fabrication sont mutualisés dans les systèmes Elsevier entre probablement les 2 900 revues.

C’est un business qui ne gêne pas les institutions qui payent les APC ou FTA. Heureusement, nos institutions françaises sont peu concernées dans le cas de B & P.

La revue Biomedecine & Pharmacotherapy apparaît dans la liste des revues recommandées par la Conférence des doyens de médecine et le CNU santé.

En bref, il n’y a pas de différence avec les revues de MDPI ou Frontiers… ce qui m’a été dit par des hauts dirigeants non-français des éditeurs légitimes.

En regardant cette revue B & P, je me demande s’il ne faudrait pas conseiller de ne publier que dans des revues appartenant à des Sociétés savantes (hors de revues prestigieuses comme celles des familles Lancet, Nature et quelques autres..)

Un comité de rédaction fantôme ???

Comme pour beaucoup de revues, il y a beaucoup de noms prestigieux, experts très occupés…  et le travail de gestion, relecture des articles doit être fait par quelques salariés du groupe Elsevier. Voici ce que l’on peut lire sur le site (un peu différent sur les PDF ‘Editorial board’ de chaque volume de B & P) :

La rédactrice en chef s’appelle Danyelle Townsend (South Carolina College of Pharmacy Department of Drug Discovery and Biomedical Sciences, Columbia, South Carolina, United States of America) et sa biography : Danyelle Townsend attended the University of Virginia Medical School, focusing on Cancer Biology and Drug Metabolism. She is currently an Associate Professor of Drug Discovery and Biomedical Sciences at the Medical University of South Carolina and Director of the Analytical Redox Biochemistry Core. Her laboratory combines proteomics and analytical biochemistry to identify molecular targets of oxidative and nitrosative stress to determine how redox signaling impacts cellular response.  Dr. Townsend’s research on the redox proteome and associated pathways created a platform for drug discovery and redox biomarker development that has led to multiple clinical trials. Please contact Danyelle Townsend using BIOPHA@elsevier.com

Le rédacteur appelé ‘Ethics Editor’ s’appelle Kenneth Tew (Medical University of South Carolina, Charleston, South Carolina, United States of America) et sa biographie montre qu’il est expert des médicaments anti-cancéreux et surtout qu’il est rédacteur de nombreuses revues : He currently serves on the editorial boards of ten journals and is associate editor for JPET, senior editor for Cancer Research, and, in 2011, co-serial editor for Advances in Cancer Research. Il n’a pas d’expertise clinique et son expertise est : Dr. Tew’s scientific contributions to the field of cancer drug discovery and development focus on the involvement of redox pathways glutathione S-transferases in tumor cell resistance to anticancer drugs.

Il y a 13 ‘Executive editors’ dont les provenances sont : 6 pour USA dont 4 de South Carolina ; 2 pour la Chine ; 2 pour le Brésil ; et un pour Italie, Thailande et Inde. C’est un comité international, dont un seul européen (revue créée en France). En bref, ce ne sont pas des cliniciens, ni des infectiologues et ils n’ont pas d’expertise pharmacologique de terrain. Ce sont des chercheurs de paillasse (rien de péjoratif).

Il y a 14 ‘Associate editors’ dont les provenances sont : 5 pour USA ; 3 pour Italie ; 2 pour Argentine ; et un pour Brésil, Afrique du Sud, Chine, Thaïlande. Ils n’ont pas tous leur biographie sur le site de la revue.

Il y a ensuite 22 membres d’un ‘editorial board’ dont les provenances sont : 9 pour USA ; 6 pour Italie ; 2 pour pour Brésil ; 2 pour Chine et un pour Israël, Corée du Sud et Argentine. Ils n’ont pas leur biographie sur le site de la revue.

Il y a 2 ‘Founding editors’ :

  1. Georges Mathé (1922-2010) cancérologue français ;
  2. Haim Tapiero qui a publié en 2006 un ouvrage (Stress oxydatif et alicaments) avec la rédactrice actuelle (Danyelle Townsend) et le rédacteur éthique (Kenneth Tew). En 2003, son affiliation sur un article dans B & P était Université de Paris – Faculté de Pharmacie CNRS UMR 8612, 5, rue Jean-Baptiste-Clément, 94200, Chatenay-Malabry, France. haimtapiero@aol.com

Il y a 2 ‘Scientific editors’ d’Elsevier, sans préciser leur localisation. Mon avis, c’est qu’elles font tout le boulot.

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19 commentaires

  • Il faudra bien sûr revenir sur les conditions de rétractation de cet article. En attendant :
    En ce qui concerne la revue :
    • J’avais signalé dans mon livre « Impostures en cancérologie » (paru en octobre 2023) que cette revue était dans la zone grise et j’écrivais « Le seul numéro de septembre 2020 contient 160 articles, dont 65 % proviennent d’auteurs chinois, 7 % d’auteurs iraniens, et le reste provenant de toutes les parties du monde: Qatar, Brésil, Inde, Nigéria, Iran, Pologne en particulier. Quand je vois qu’il faut payer 2660 $ (soit environ 2500 €) pour publier un article et que je calcule que l’éditeur gagne chaque année 4 000 000 € pour une dépense qui ne doit pas dépasser le centième de cette somme (le journal n’est plus imprimé mais seulement disponible online), je suis effaré… ».
    • J’ai signalé l’an passé à Sorbonne Université qui gère la liste des revues recommandables pour le compte de la Conférence des Doyens de médecine et du CNU santé que cette revue posait problème (de même que Biochemical Pharmacology qui suit le même chemin) et qu’en revanche Cancer Cell, qui est tout à fait honnête à mes yeux, ne figurait pas dans la liste : je n’ai reçu aucune réponse ; Cancer Cell a bien été ajouté depuis mais Biomed Pharmacother n’a pas été retiré.
    En ce qui concerne l’article, je n’avais pas compris pourquoi les Lyonnais auteurs de l’article avaient choisi cette revue médiocre (je ne crois pas en un impact factor de 6 et quelques pour une revue qui publie 1 600 articles par an) pour publier cet important travail et j’avais signalé quelques doutes méthodologiques sur ce blog en janvier dernier. Dans une revue de qualité, l’article aurait bénéficié d’une bonne peer review, ses insuffisances éventuelles auraient été corrigées et nous ne serions pas dans cette situation désagréable dans laquelle s’engouffrent les complotistes… Les auteurs, et ils ont raison, maintiennent leurs conclusions. Bien qu’il soit rétracté, je citerai cet article dans mon prochain billet d’humeur « La fraude scientifique est potentiellement létale » : l’équipe de Jean-Christophe Lega l’a montré.
    Nous attendons la suite de votre enquête, cher Hervé Maisonneuve !

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  • Bonjour,
    Le manuscrit de notre travail a été transféré avec notre accord de la revue Pharmacological Research vers cette revue. Nous avions soumis prealablement à 5 autre revues. Par ailleurs, les frais de publication sont réduits par les accords Couperin.
    Cela ne remet pas en cause les excellentes questions poser par ce blog et les commentaires, au delà de la lourdeur du processus de soumission et de la complexité de l’analyse de la qualité des revues.
    Bien cordialement.
    Pr Lega

    Répondre
      • Bonjour
        c’est une évidence ! Peu de revues mettent en ligne les avis des relecteurs… L’Open peer-review devrait être la norme !!!
        Amicalement

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  • Attention quand même à na pas sombrer dans la xénophobie : « 80 % des articles de B & P proviennent d’auteurs chinois ». Est-ce un argument recevable ?
    J’observe par ailleurs qu’Elseiver bénéficie d’un traitement de faveur puisque ses journaux sont étudiés au cas par cas alors que MDPI et Frontiers sont catalogués « à mettre à la poubelle » de façon globale.
    Guillaume Cabanac, chercheur au CNRS, est l’inventeur de l’outil « Problematic Paper Screener » qui détecte les « phrases torturées » probablement générées par l’IA. Son site est consultable à l’URL suivant : https://dbrech.irit.fr/pls/apex/f?p=9999:3::::::

    Sur 781 529 articles analysés à ce jour, on peut réaliser un classement des contenus les plus problématiques (en résumé, ceux qui contiennent le plus de phrases bizarres). On peut voir que dans le top 100 figurent en très bonnes positions (et plusieurs fois chacun) les éditeurs suivants : Elseiver, Springer Nature, Wiley, Sage, Taylor & Francis.
    MDPI n’apparait qu’une fois, en 86ième position. Frontiers n’est pas dans le top 100.

    Comme quoi, les grandes revues ne sont pas en reste lorsqu’il s’agit de faire du business.

    Quant à l’argument du temps de revue qui serait trop faible dans le cas de revues « non recommandable », il me semble très faible. Quand on donne à un reviewer un délai de 3 mois pour écrire son évaluation, il aura tendance naturellement à attendre la 11ième semaine pour s’y mettre. Donc demander un délai d’une semaine pour répondre n’est en rien un problème.

    Répondre
    • Il ne s’agit pas de xénophobie. La dure réalité est que la Chine est championne du monde fraude scientifique.
      Ils publient de la métaanalyse à un niveau industriel
      Et surtout, JB Carlisle a pu montrer un taux prohibitif de données manipulées dans les RCT chinois soumis au journal dont il est EiC. 1/3 des RCT chinois seraient des « essais zombies »
      https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/33040331/

      Répondre
    • Merci pour ces remarques.
      Je rejoins D Barraud sur la critique des auteurs chinois, et je vous suggère, comme je l’ai fait, d’aller lire quelques articles de ces auteurs chinois. Ces articles sont médiocres dans cette revue. Je reconnais qu’il y a d’excellents articles de chercheurs chinois dans les revues très prestigieuses.
      Tous les grands éditeurs ont des revues mercantiles et je rejoins les analyses de Paolo Crosetto sur ce sujet https://www.redactionmedicale.fr/2023/10/le-miracle-des-numeros-speciaux-des-revues-scientifiques-consequence-de-la-mediocrite-de-certains-milieux-academiques-fait-le-bonheur-de-marchands-de-reves
      Une différence entre les éditeurs, c’est que certains, à coté des revues mercantiles, ont des groupes prestigieux de revues (groupes Lancet, Nature, Cell, JAMA, JMIR…), ce que d’autres n’ont pas de revues prestigieuses…
      On peut en rediscuter volontiers

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      • Bonjour Mr Maisonneuve,

        Il y aussi de grands chercheurs chinois. Il me semble difficile d’avancer  » les chinois sont des tricheurs » sans se risquer à des biais ethnique. Je constate qu’il de bon ton de pointer à outrance ces biais (Cf NEJM), surtout lorsqu’ils concernent des faits passés. Bizarrement, pour les asiatiques, on n’a pas la même exigence. Il y a néanmoins, je l’admets volontiers, une tentative d’origine étatique (et non ethnique) de domination scientifique par le nombre d’articles publiés, au dépend de la qualité. La science est très probablement un outil de l’impérialisme chinois.
        Autre point important, dans votre réponse à mon commentaire, vous admettez implicitement qu’il n’y a pas de bons et de mauvais éditeurs et donc que l’évaluation devrait être basée sur l’analyse ciblée de chaque journal scientifique. Ne pas rejeter d’emblée un éditeur (MDPI, Frontiers) mais juger au cas par cas serait plus honnête (message à la CDD).
        Certains d’entre nous, les plus rotors à toute forme de carcan imposé dans une verticalité qui tranche avec l’horizontalité de façade, suggèrent même qu’il faudrait évaluer le contenu des articles et non les journaux qui ne sont finalement qu’un support. Evaluer le contenu, pas le contenant, est même une consigne de l’HCERES auprès de ses évaluateurs (dont je fais partie). Mais bon, la CDD est plus forte que l’HCERES, c’est bien connu.

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  • Si vous considérez que cette modélisation ne devait pas être rétractée pourquoi ne répondez vous pas aux nombreuses critiques scientifiques dont elle est sujet ?
    Et pourquoi les auteurs eux même n’ont jamais voulu y répondre publiquement ?

    Répondre
    • Bonjour
      je n’ai pas la compétence pour évaluer des modélisations. Je constate que certains n’ont pas la compétence mais ont des opinions sans données probantes… ETONNANT !
      Une enquête indépendante aurait dû être conduite.
      Je n’écoute pas tous les pieds nickelés qui donnent des avis sans avoir de compétences
      Amicalement

      Répondre
      • Excusez moi mais si vous considérez ne pas avoir cette compétence pourquoi défendez vous cette modélisation ?
        Vous devriez alors partir du principe que vous ne savez pas si la rétractation est justifié ou pas !

        Répondre
        • Relisez ce que j’ai écrit. Je n’ai pas défendu la modélisation !
          Quelle est votre qualification ? Merci

          Répondre
      • Bonjour
        Je suis ingénieur et statisticien et bien avant la rétractation j’avais noté des estimations erronées : les données de base étaient fausses (par exemple Belgique) et l’estimation de 11% de surmortalité n’était pas fiable car liée à un surdosage qui ne correspondait pas aux patients traités . Êtiez-vous en accord avec la modélisation ou pas ?

        Répondre

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