Suite aux livres présentés le 31 mai et le 1 juin, j’ai choisi un livre grand public qui m’a impressionné par la qualité de l’enquête journalistique et l’honnêteté de l’auteure qui n’accuse pas les salariés de l’industrie pharmaceutique. Le livre est sous la direction de deux excellents journalistes d’investigation (G Davet & F Lhomme). L’auteure est journaliste indépendante et enquête depuis 2013 sur les antidépresseurs. Ce livre de 306 pages, paru en avril 2021, se lit facilement et vite, car il est bien construit, et les professionnels de santé devraient le lire.
Ce livre fait écho à Children of the Cure que j’ai présenté hier.. C’est une excellente vulgarisation pour un public qui croit que tout nouveau médicament est meilleur que le précédent… poussé par notre système de santé qui accompagne ces mouvements. Il y a 12 chapitres répartis en 4 parties : 1) Les ISRS, ‘pilules miracles’ ; 2) Une pandémie de dépression ; 3) La fabrique de la désinformation médicale ; 4) Meurtres, suicides, alcoolisme, dépendance, problèmes sexuels : la face cachée des ISRS. Ce livre devrait être proposé aux étudiants de médecine pour développer leur esprit critique. Il faut évaluer les données, et même si tout n’est pas à jeter, il faut du recul pour bien manier ces médicaments. Quatre annexes bien choisies, dont la traduction et adaptation des suggestions de Ben Goldacre dans son livre Bad Pharma pour que l’information médicale soit plus transparente. Beaucoup de bonnes ressources dans l’annexe 4 dont l’excellent site Rxisk dans lequel ce livre devrait être présenté.
Il est remarquable de noter que des journalistes d’investigation, après des enquêtes factuelles bien faites, peuvent vulgariser sans se tromper. Il y a des interviews de médecins et de patients. La reprise des points importants de l’étude 329 présentée hier est didactique et utile pour nous médecins (je n’ai pas tout dit dans mes billets). Je n’ai pas noté d’erreurs, et j’ai tout lu. Outre toutes les dérives dénoncées par Peter Gotzsche, décrites au sein de l’industrie, les conflits d’intérêts flagrants, les perversions propagées par le DSM et des psychiatres peu enclins à comprendre l’EBM, un chapitre est intitulé ‘Revues complices et liens d’intérêts’. Dans ce chapitre, toutes les méconduites que vous connaissez y compris celles liées aux auteurs-fantômes, aux revues devenues des bras armés de l’industrie, à SIGAPS, au facteur d’impact, aux revues prédatrices. C’est bien de montrer cela aux citoyens, en défendant DORA par exemple, et une meilleure évaluation de la recherche. Il y a aussi de bonnes réflexions sur les essais cliniques.
Dans un avertissement en début d’ouvrage pour expliquer que dans l’industrie, la plupart des salariés sont des ‘gens bien’, je retiens : ‘Quant à celles qu’on observe [les dérives] au sein de l’industrie pharmaceutique, elles ne sont pas de leur fait ; elles relèvent directement des décisions prises par les directions des groupes et d’un environnement politique, légal, réglementaire,etc., qui n’a pas joué son rôle d’encadrement, de contrôle et de sanction‘.
Coïncidence, car Eric Caumes (voir son livre dans le billet de demain) est cité en page 12 à propos de la COVID-19 ‘On a privilégié la science au détriment du bon sens et de l’observation clinique. En France, on abandonné la prévention et la santé publique pour le curatif et les médicaments. Peut-être parce que la prévention ne rapporte rien aux laboratoires pharmaceutiques‘.
Cinq billets sur la surmédicalisation cette semaine : 31 mai Surdiagnostic, 1 juin Children of the cure, 2 juin Génération zombie, 3 juin, Maladie de Lyme, et 4 juin Remèdes mortels et crime organisé.
2 commentaires
Une réflexion :
Que d’ouvrages, que de publications qui toutes montrent que le système dysfonctionne complètement.
Il est bon d’écrire : « Quant à celles qu’on observe [les dérives] au sein de l’industrie pharmaceutique, elles ne sont pas de leur fait ; elles relèvent directement des décisions prises par les directions des groupes et d’un environnement politique, légal, réglementaire,etc., qui n’a pas joué son rôle d’encadrement, de contrôle et de sanction »; car en effet il faut pointer du doigt les responsables, ceux qui dirigent et non ceux qui « obéissent ».
Cependant y-a-t-il une « lumière » dans ce paysage sombre?
Il semble que non car comme le démontre un autre papier de blog : https://medcritic.fr/prix-des-medicaments-le-conte-de-fee-de-big-pharma/ , « On peut légitimement se poser la question de savoir si les pratiques de la compagnie AbbVie pointées par les députés américains sont isolées ou bien si elles sont courantes chez Big Pharma. L’on peut déjà répondre que le phénomène est généralisé et va en s’aggravant. »
L’on constate que tout va en s’aggravant.
Mais quel constat déprimant.
A quand un vrai changement?
Un changement au profit des patients?
Merci beaucoup pour ce billet, Docteur. J’espère que l’actu récente sur la hausse de la consommation https://ansm.sante.fr/uploads/2021/05/27/epi-phare-rapport-6-medicaments-covid-20210527.pdf
permettra aux médias d’ouvrir le débat sur la surprescription.
A chaque tuerie de masse ou chasse au « forcené », je me pose la question : quel est le rôle des médicaments, particulièrement des psychotropes, dans ces passages à l’acte violents, meurtriers ? Et dans les suicides ? On ne le sait pas, parce que les données ne sont pas recueillies.
Avant-hier encore, l’étude de France-Stratégie sur le crédit impôts-recherche : 6,6 milliards d’euros pour un résultat bien médiocre. Quelle partie de ces sommes est-elle dilapidée dans une pseudo-recherche (les « me-toos », notamment) qui nuit à notre santé ?